mehryl ferri levisse
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les théâtres de mehryl ferri levisse
la collection monstrueuse ou la domestication des anomalies
esthétique du corps neutre, plasticité critique
mehryl ferri levisse : l'homme objet
la complexité du "je" d'enfant
l'éternité n'est pas une abstraction
ceci n'est pas de la photographie
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the space for a certain energy : mehryl ferri levisse interviewed
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mehryl ferri levisse's staged dreamworlds invoke family tradition and bdsm
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Mona Prudhomme
La multitude des corps
décembre 2014
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C’est dans le cadre de la 65ème édition de Jeune Création, exposition d’artistes émergents, que l’artiste plasticien Mehryl Ferri Levisse, a présenté une des pièces phares de son travail. Œuvre maîtresse comme elle est qualifié par Florian Gaité, elle nous surprend par sa singularité. une grande partie du travail de Mehryl Ferri Levisse est photographique, le support idéal pour illustrer ses mises en scène, plus farfelues les unes que les autres. Cependant ici nous sommes face à une sculpture de Lego®. Le dernier jeu nous questionne sur notre rapport aux différentes étapes de la vie. Quel sens faut-il donner à l’utilisation d’un jeu d’enfant pour représenter le réceptacle qui nous accueillera tous à la fin de notre existence ?
Au mur, quatre photographies de petit format encadrées de résine, trônent au-dessus du cercueil. Chacune d’elle représente un corps ou un duo, dont les visages sont remplacés par un gros cube de Lego®. Il semblerait que sans visage, ces corps, presque totalement nus, perdent toute identité. les pièces de Lego® viennent étouffer leur possibilité d’expression, seule la gestuelle est là pour nous raconter l’histoire de ces personnes. Et c’est bien là le thème de Mehryl Ferri Levisse : le langage des corps, omniprésent, et codé.
Et comme si même l’enfance perdait toute innocence, l’artiste nous livre un mode d’emploi de construction de cet habitacle funèbre, 2 tomes de 900 pages afin de concevoir minutieusement notre tout dernier lit. Le malaise devient complet lorsque l’on réalise que ce funeste projet est destiné à un corps d’enfant. Et quel beau clin d’œil que d’exposer un sachant que le 104, centre d’art abritant l’exposition, fut un lieu de pompes funèbres jusqu’en 1997.
Pour ce qui est de la technique, l’artiste est assez peu commun. Chaque œuvre est réalisée avec une grande perfection maniaque, la composition est pensée afin de donner tout son pouvoir au sujet choisi. Malgré une attention au cadrage, à la composition, qui pourrait nous évoquer le travail pointu de Jeff Wall, Mehryl Ferri Levisse revendique ne pas être photographe. Et en effet, on ressent bien plus qu’une beauté photographique dans ses clichés. Il traite de façon presque obsessionnelle des thèmes tels que la religion, le moment de la fête où tout dégénère, la confection des décors d’intérieur, les rituels d’habitude, les traumatismes de l’enfance.
Mehryl Ferri Levisse fait partie de ces artistes qui savent se forger une véritable identité. Le visiteur peut être intrigué, embarrassé, étonné ou choqué face à cet univers d’une complexité originale. L’artiste sait jouer de nos références et nous entraîne dans cette ambiguïté constante d’un monde coloré, à l’allure enfantine mais dont le propos semble toujours empli d’une signification lourde de sens.
Il semble considérer son public avec une approche relevant de la sociologie. L’artiste nous livre des clefs pour appréhender notre rapport à l’autre, notre inscription corporelle dans la société et ce grand sujet du passage de l’enfance à l’âge adulte. Cependant, malgré des images fortes, tout reste suggéré, chacun est libre d’établir sa propre interprétation.
Depuis peu enseignant à l’UFR Lettres & Sciences humaines de l’université de Reims sur le thème de l’usage du corps à travers la performance, la danse et l’art contemporain, Mehryl Ferri Levisse multiplie les façons de transmettre son engagement d’artiste. Ici le partage se fait par les mots, à des étudiants éloignés du milieu artistique.
Si l’on peut lui reconnaître une grande qualité, c’est bien celle de savoir théoriser son œuvre, ce qui se fait de plus en plus rare dans ce monde à huit-clos qu’est l’art contemporain. .
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